
Nous passerons par le bois, ce sera plus court.
Ces mots, j'aurais aimé ne jamais les entendre. Le bois de Telecse traversait certes la baronnie de part en part et il était bien plus rapide à vol d'oiseau, de la traverser. Qui ignorait, cependant, qu'ils étaient hantés ? Qu'en ces lieux plus d'âmes avaient été perdues que durant le massacre d'Hexwerb ?
Ces mots, ils avaient étés prononcés par le capitaine de mon équipe, qui cherchait à répondre à l'appel du haut commandeur Sempton. Je serrai ma lance contre moi, tremblant dans cette forêt sombre et humide, alors que chaque petit craquement, piaillement, chaque insecte qui me frôlait, chaque feuille qui bruissait, me faisaient sursauter. Dans mon esprit divaguant sous la pression de la fatigue et peut-être les dangers de la fièvre, je revoyais les images incompréhensibles. Qu'était-il arrivé ? On m'avait demandé de prendre le tour de garde. Assis dans l'herbe au pied d'un arbre, je sentais la fraicheur de l'humidité remonter dans les braies fines que je portais. Quand le soleil fut bas sur l'horizon, je me relevai et repartais vers le camp. J'étais fatigué et je n'avais pas fait attention aux différentes traces que je pouvais voir sur le parterre de fleurs que nous avions nous-mêmes écrasées.
Arrivé au camp, c'était le silence tenace, presque palpable, visible, qui me heurta. Cette absence de bruit rampait vers moi comme une présence délirante qui soulevait chacun des poils de ma peau, entrainant un tremblement incoercible. Où étaient-t-ils ?
M’arrêtant au milieu de la petite clairière, je regardais autour de moi. J’étais seul. Absolument seul. Les oiseaux eux-mêmes avaient disparus. Je ne comprenais pas. Rien. Je n’avais rien entendu, rien vu, durant ma garde. S’ils étaient partis… Un crac. Je me tournai dans tous les sens. Rien. Un souffle, sur ma nuque. Ça ne pouvait être le vent. Une brise chaude. Mes poils se redressèrent sur mes épaules, dans mon dos.
Ne réfléchissant pas plus d’une seconde, je prenais mes jambes à mon cou. Je courrai. Je ne m’arrêtai pas. Je courrai. Au-devant de moi, je pouvais voir des lumières verdâtres filtrer à travers le plafond feuillu de la forêt. Derrière moi… J’étais persuadé de les sentir. De les entendre. Les pas. Lourds et rapides. Lourds et proches. Je ne pus m’en empêcher, je hurlai. C’est alors que ce cri guttural, animal, s’extirpait de ma gorge douloureuse, que je trébuchais sur une racine avalant terre et herbe alors que mon visage glissait douloureusement sur le parterre de feuilles mortes. Ils approchaient. Toujours. Détournant de la boue mon regard ensanglanté, réussissant à me redresser à demi, je pouvais observer une chose que je n’avais jamais observé. Il était là. Devant moi. Déchirant son front proéminant et gigantesque, d’énormes cornes pointaient le ciel. Son torse déformé ne portait qu’un bras aux extrémités sales et crochues. Le second était rongé à sa base. Découpé. Sur son visage terrifiant, un œil me transperçait du regard. Le second n’était qu’une cavité vide. Noirâtre. Avec un sourire, le cornu leva vers moi un bâton noueux qu’il tenait fermement.
"En ces bois vous ne serez jamais tolérés.
Chaque pas en ces lieux est une insulte à mes yeux.
Prenez cette vie que j’aurais dû vous retirer
Et écrasez-vous devant la grandeur des cieux."
Il fit alors demi-tour. je le perdai rapidement de vue alors qu’il s’enfonçait dans les bois et les ombres. Dans la nuit et les arbres. Je me redressai doucement, difficilement. Je me relevai et repris ma course, jusqu’à ne plus pouvoir courir. Alors je marchai. Jusqu’à ne plus pouvoir marcher. Alors je rampai. Jusqu’à n’en plus pouvoir. J’avançais. Comme je pouvais. C’est alors que je l’ai vu. Il n’était pas loin de moi, à seulement quelques mètres. Un homme, barbu, vêtu de fourrures, qui m’observait à quelques distances. Il n’avança pas. Il attendit. Il attendit que je rampe jusqu’à lui et, là, m’aida à me relever. Avec des regards inquiets derrière lui, il me supporta, m’offrant son épaule, sans un mot.
Aujourd’hui, je vis ici. A Pontdefer. Loin des affres de la guerre et des horreurs cachées des bois de Sempton. J’écris ces quelques lignes alors que je suis au chaud, devant ce petit poêle que j’ai acheté le mois dernier pour passer l’hiver. Je travaille pour un marchand, portant, déplaçant et suant. Mais je suis libre et en vie. Je ne peux en dire autant des près de 30 âmes qui accompagnaient mon équipe. Chaque jour, je prie l’Aveugle pour qu’il épargne leur mémoire.
[spoiler]Je précise que bien évidemment, tout cela n'est en rien en lien avec Eana. L'univers dans lequel s'inscrivent ces quelques mots est un univers perso.
Je vais essayer de faire des retours comme celui-ci sur ce que m'inspirent les illustrations de Dragons pour mon univers.
