Studio Agate

La goule venait de tomber, foudroyée par une flèche en pleine tête. Cependant, cela pouvait tout autant être un ami qu'un ennemi et en ce moment, je penchais plus pour la seconde solution. Aussi me retournais-je, prête à frapper cette aide si providentielle.

La guerrière était encore dans l'ivresse du combat, épuisé, elle semblait être sur ses garde. Lorsqu'elle se retourna, épée au clair, prête à frapper, l'espiègle tieffelin se présenta bras ouvert (mais prêt à esquiver).

"Tu frapperais un frère d'arme ?"

Le tieffelin restait tout de même sur ses gardes, d'autres pouvait roder encore aux alentour.

"Le plus sur est surement de se regrouper, on discutera de tout ça au camps. Encore besoin de mon épaule ?"

"Ho c'est toi."

Je ne savais pas si je devais être soulagée ou lui en vouloir d'être intervenu. Je me décidais alors pour une neutralité de bon aloi.

"Tu sais, je gérais. Plus ou moins."

Je décochais un coup de pied à la tête du premier monstre que j'avais tué, et la douleur me fit tressaillir. L'adrénaline m'avait empêché de trop souffrir mais maintenant je la ressentais à plein.

"Je peux marcher, ne t'en fais pas mais je vais avoir besoin d'un bandage sous peine de me vider de mon sang je crois."

Je lui décochais un sourire frondeur avant de boiter vers le campement en chantonnant.

Ignir retira la flèche du monstre pour la ranger dans son carquois.

"Ludmilla, on est dans le même bateau. Que tu gère ou non, il faut s'économiser pour réussir à survivre. On est poursuivit je te rapelle. Tu aurais fais quoi si il fallait s'enfuir tout de suite ? Le cri du monstre n'a surement pas laissé nos poursuivant indifférent. J'ai pris la responsabilité de ce groupe, il est hors de question que quelqu'un meurt ou se sacrifie pour le groupe."

Le Tieffelin lui rendit son sourire, mais avec affection.

Puis en imitant le ton dur de Voukoll

"Interdit de mourir sous mes ordres soldat !"

Les deux aventuriers se remontaient le moral comme ils pouvaient.

Depuis leur camp improvisé dans le noir ils entendaient une agitation inquiète. Yardan arrivait à tâtons.

" L'ordonnante requière-t-elle encore l'assistance de mes poings ?"

" En vérité, ma tâche était de demeurer auprès de nos protégés en quête de liberté et de justice, mais il m'a semblé entendre du mouvement. Au vu des maigres repères que j'ai pris aux derniers rayons du soleil, j'estime que cela provient du sud-est."

" Quelles sont les instructions de l'Ordonnante ?"

Ignir parvint à me faire rire en prenant ce ton de sergent autoritaire et je ne pus m'empêcher de répondre du tac au tac :

"Oui chef ! À vos ordres chef !"

Puis Yardan apparut sur le chemin. Je le regardais en écarquillant les yeux, son discours était étonnamment compréhensible.

"Pour le moment, l'ordonnante laisse les rênes à Ignir, c'est lui le mieux placé pour nous guider hors d'ici mais si tu as besoin d'ordres maintenant, j'avoue que j'aurais besoin de tes mains. Pour soigner mes blessures ! ajoutais-je en catastrophe. Tes mains sont suffisamment habiles pour ça. Enfin pour me faire un bandage !"

Ho bon sang, pourquoi fallait-il que je perde mes moyens devant lui, ça en devenait ridicule à force.

"Quand je serais soignée je pourrais terminer mon tour de garde tranquillement, les trucs que j'ai affrontés n'étaient que deux, on devrait être plus tranquille maintenant."

Du moins l'espérais-je.

" Mes mains et mes bandages sont au service de l'Ordonnante." répondit Yardan cérémonieusement.

" Mais sans la clarté du soleil, ni la vive chaleur d'une flamme ardente, mes moyens sont limités à ce que je peux discerner à tâtons de la peau de l'Ordonnante."

Se tournant alors vers Ignir :

" Guide-Ordonnant Ignir, pensez-vous que ces mouvements au sud-ouest nécessitent prompte vérification ou patiente attente ?"

Ignir réfléchit quelques instants.

"Je préfèrerais vérifier qu'il n'y ait pas d'autres surprises." Ignir eu un frisson à l'idée que d'autres cadavres ambulant attaque le groupe en plein sommeil.

"Soigner Ludmilla est prioritaire. Tu pourrais la soigner au clair de lune, c'est toujours mieux que rien. Ou tu peux m'expliquer comment faire et je peux guider tes mains, je vois très bien la nuit. Nous ne pouvons prendre le risque de faire un feu. Notre avantage est que l'ennemi ne sache pas où nous poursuivre exactement. Sauf si la flamme est trop petite pour être vu de loin, je pourrais essayer avec mes pouvoirs de la maintenir au minimum vital, mais je n'ai jamais tenté une tel prouesse"

Yardan s’inclina doucement, signant sobrement son approbation.

- Verbe est ordre pour qui sait entendre, murmura-t-il dans les ténèbres. Ainsi en sera-t-il fait, car où la Balance fait Loi, Nécessité dicte.

Le moine eut un sourire fin, invisible dans les ombres de la nuit. Après les récents évènements menés tambours battants où il n’avait été qu’action, ces quelques instants de sérénité lui avaient fait du bien. L’irruption hideuse des putréfiés, si désagréable qu’elle en soit, ne changeaient en rien la sensation de sérénité qui l'avait envahi à son réveil, quelques instants plus tôt sous cet arbre.

Était-ce là signe de Draaz ? Ou plus simplement une euphorie passagère ? Un mirage né du danger trouble où ils se retrouvaient tous plongés ? L'adepte du Dieu Dragon l'ignorait. Une chose était cependant sûre : il se sentait de nouveau en pleine possession de ses moyens, et allait de nouveau assumer rôle qui était le sien.

Pour l’heure, l’ordonnante blessée était sa priorité, et il se devait désormais d’agir. S’accroupissant près de Ludmilla, l’adepte saisit avec délicatesse la jambe lacérée de la jeune femme.

Autour de lui, l’odeur d’humus se mêlait aux remugles de la vase, et au parfum de fer du sang frais. Le parfum de la dame, subtile mais insistant à cette distance, se trouvait brouillé par la transpiration récente du combat. Quelques pâles étoiles fantomatiques brillaient bien loin au-dessus des frondaisons, mais rien ne venait tacher le sol forestier, désespérément sombre.

Yardan fronça les sourcils. Sa tâche s’avérait rude.

- Draaz m’en soit témoin, souffla-t-il, blessure souillée nécessite un soin ô combien rapide. Ordonnante, disposons-nous de quoi nettoyer plaie présente ? Les souillures honnies de la Grande Roue sont porteuses de germes, qu’il nous faut purifier prestement.

Il fait un geste de la tête envers Ignir, et chuchota derechef :

- Guide du Jour, guider ma main sera tienne mission. Disposons-nous de quoi endiguer les présents maux ?

Spoiler

Ludmilla disposait d'un équipement minimaliste, pris à la va-vite à Fort Ditelni ; Ignir avait un ensemble plus complet. Dans tous les cas, le découpage de tissu permettait de faire des bandages... en revanche, nettoyer correctement et bander solidement serait hasardeux dans cette obscurité : il faudrait tout faire à tâtons. Dans le meilleur des cas, cela prendrait plus de temps que normalement.

La guerrière demeurait stoïque et attendait la suite.