[Arolavie] Chapitre 1 - Garder la frontière Une aventure de la garde lunaire de Fort Ditelni à la frontière nord-ouest de l'Arolavie.

[Pwyll]

Jasna réfléchissait et elle sentait que ses idées ne plairaient pas à sa sœurette.

Réfléchissons, qu'est ce qu'on a avec nous. De notre côté, de la corde, un peu d'armure, vaguement des armes. Et toi ?

Elle s'était tourné vers Gaspardin. Elle écouta sa réponse avec attention avant de reprendre.

Je pense que nous devrions aller directement au cœur. Passer par en haut où nous aurons plus facilement accès à la lumière. Par contre une fois en haut ... nous devrons aller directement au centre et faire ce pourquoi on est venu jusqu'ici. Si la crypte grouille d'ennemis, nous ne sommes pas sur de pouvoir en venir à bout à seulement cinq. Alors qu'en tuant la chose qui en est responsable, il y a une chance que nous libérions le temple entier. En tout cas, c'est ce que je pense et ce que je déduis de mes visions.

Interpellé par cette question et surtout par cette affirmation, Gaspardin considéra cette humaine à peine sortie de l'adolescence sous un jour nouveau. Des visions ? N'aurait-il pas été plus opportun de les décrire dans ce cas, pour qu'on puisse savoir si ses déductions n'allaient pas mener le groupe tout droit à sa perte ?

D'un autre côté, l'idée de foncer vers l'éventuelle tête pensante des créatures infestant les lieux pouvait avoir un sens et, c'est certain, cela ne manquait pas de panache. Encore eût-il fallu qu'un tel "chef" existât et qu'il se trouvât bien vers les hauteurs...

"J'ai ma rapière, quelques dagues, mon bouclier, mon armure de cuir, un peu de bric-à-brac comme de la corde et de quoi m'éclairer et, avant tout, la vaillance sans borne que m'inspire la mission sacrée qui m'incombe !"

En finissant cette tirade, Gaspardin passa inconsciemment sa main sur un médaillon a demi caché par le col et l'attache de sa cape sombre.

Le jeune Paladin décida en outre de passer sous silence son outillage destiné à forcer les serrures et autres mécanismes, cela pouvant être mal interprété.

"Allons-y dans ce cas, nous serons comme la tempête soudaine que les cieux courroucés abattent sur les malavisés !"

Voilà qui ne voulait pas dire grand chose, mais le Halfelin espérait que ça sonnait bien.

[Casaïr]

"Aller directement au... ?"

J'avalais difficilement ma salive en tentant de visualiser ce qui nous attendait. S'il fallait escalader une grille, très bien, je pouvais le faire. Après tout, qui allait chaparder des pommes dans le petit verger des Dragoslav quand nous étions petites -et qui se faisait immanquablement punir juste derrière, d'ailleurs ? Le reste par contre, c'était une autre paire de manches. Je respirait un grand coup, tentant de me détendre, observant toujours le temple qui nous toisait de toute sa splendeur flétrie, comme s'il nous estimait incapable de combattre la noirceur qui corrompait ses entrailles.

"Très bien, dis-je en souriant franchement à Jasna, je te fais confiance. Si on réussit, rappelle-moi de faire une petite prière à Forgeron après."

Pour ce que ça valait, lui demander de veiller sur ma sœur avec moi ne mangeait pas de pain. Et puisque le danger n'était pas encore au rendez-vous, je grimpais les marches pour rejoindre le halfelin un peu trop souriant à mon goût dans une telle situation avant de pénétrer à mon tour à l'intérieur, une hache usée à la main, jouant ainsi le rôle de l'avant-garde.

[Iris]

Les deux rôdeurs quittèrent sans regret l'ilot de la guenaude et s'aventurèrent sur les bordures entre le marais et la forêt. Il faisait un temps radieux aujourd'hui et l'air bruissait de chants d'oiseaux. Toute la nature s'éveillait en ce début de printemps. Même si elle n'était qu'une sorcière affreuse, leur hôtesse était aussi une fée, et elle participait du grand cycle sauvage, à sa manière. Aux alentours de son domaine, la faune et la flore recelaient des surprises et des bizarreries. Ainsi découvraient-ils des champignons ou des grenouilles de sous-espèces rares.



En poussant plus loin vers la forêt arolave, le sol devenait un peu plus ferme. Partout où la lumière du soleil pouvait toucher le sol, il était tapissé, tantôt de mousses, tantôt de multitudes de fleurs.

[Iris]

Le plan de Jasna -- passer la grille, foncer, tailler au besoin sur le chemin pour aller au plus vite -- fut adopté dans un enthousiasme mitigé. L'équipe de bric et de broc gravit les marches, le cœur serré. Jasna, la jeune élue ; le moine exalté Yardan ; le paladin héros en devenir Gaspardin ; l'inquiète guerrière Ludmilla ; le mineur en reconversion -- s'il survivait -- Terdéric.

Par le portail entr'ouvert, ils pénétrèrent dans la cathédrale souillée. Il leur fallut quelques instants pour que leurs yeux s'accommodassent à la pénombre. Le solium était recouvert d'une substance organique qui évoquait la surface d'un intestin, dans sa teinte et ses plis. Au sommet de la salle, où aurait dû scintiller un cristal solaire, pulsait doucement une boursoufflure infâme qu'on devinait gonflée de plusieurs formes ovoïdes, pour certaines presque pendantes. Cela semblait légèrement mouvant.

Délaissant l'escalier des cryptes menant à des ténèbres grouillantes, les aventuriers optèrent pour le franchissement de la grille.

Deux options s'offraient à eux : grimper la grille -- puis la redescendre ; ou bien gravir l'escalier qui tournait autour de la colonne la plus proche, s'en servir pour atteindre les sortes de coursives qui longeaient le mur tout en haut, passer par dessus la grille, et descendre le mur derrière. L'ascension de la grille était plus facile, mais exposait davantage au Chancre. En l'occurrence celui-ci avait la forme d'une substance blanchâtre qui s'animait un peu au toucher et développait des tentacules aveugles de moins de 5cm apparemment.

[Iris]

La sorcière finit par intervenir dans les échanges entre Levko et Aleksandr :

"Vous connaîtriez un druide récemment décédé ? J'ai sur les bras une âme de druide qui s'obstine à vouloir dire quelque chose avant de se dissoudre pour rejoindre Eana. "

Voyant la mine attentive des aventuriers : "Ne vous faites pas de faux espoirs : dès que les gens meurent, ils oublient des tas de choses sur leur vie. Vous n'aurez pas de message précis, et peut-être même pas cohérent."

[Atorgael]

La question de Nashmeska le surprit tellement que Lecko faillit de couper sur la lame de la rapière qu'il nettoyait.

" Vous avez une ... âme d'un druide mort ? Je euh ... , ne connait qu'un druide. Tauron. C'est pas peut pas être lui ?
Et vous comptez en faire quoi au juste ? "

Les rêves d'Ignir, une démoniste, un démon et maintenant ça ! Levko se demanda à cet instant jusqu'où irait cette aventure dans la garde lunaire !

[Aeghiss]

J'étais surpris. Ignir avait certes un passé de roublard, mais il demeurait un citadin... Et pourtant, son pas se révélait étonnamment subtil. Et même me semblait-il, plus subtil qu'il y avait quelques jours. Il changeait...

Nous nous éloignâmes peu à peu de la demeure de Nashmeska, échangeant peu de mot, plus de signes de têtes et d'échanges muets. Nous étions désormais entre bois et marais, dans des lieux au premier abord lugubres mais pourtant fourmillants de vie... Ici, des grenouilles. Là, un héron que je me refusai à chasser, tant l'animal était majestueux.

Sans un mot, je fis signe à Ignir de s'arrêter. Peu auparavant, j'avais indiqué à Ignir qu'il était important de nous coordonner. Les lieux grouillaient de vie, et des chants d'oiseaux se faisaient entendre, mais tout son étranger mettrait instantanément en alerte les animaux nous entourant.
A quelques mètres de nous, un groupe de canards. Ils s'approchaient doucement de la rive, glissant sur les eaux...
Tous sens aux aguets, je levai mon arbalète, tout doucement, visant un canard. J'attendais que mon compagnon soit prêt... Vint l'instant fatidique. L'instant de tous les instants. D'un accord tacite, nous tirâmes.
Mon carreau perça un cou, la flèche d'Ignir se ficha dans la berge. Il avait été trop lent - l'espace d'un soupir.

Nous continuâmes notre route, toujours plus discrets, toujours plus synchrones, accumulant petit à petit les proies, l'un comme l'autre. Donnant l'exemple à Ignir, je prenais mon temps, ne favorisant aucune proie, ne faisant pas de massacre ; récoltant au passage quelques oeufs, quelques racines, herbes et autres champignons comestibles ; et savourant le marais de tous mes sens. Le gout de l'humidité sur ma langue. La brise sur ma peau. L'odeur des herbes. La vue d'un triton étrange... Le chant des oiseaux.

Je ne parlai guère : j'étais dans l'instant. Plus encore. J'étais l'instant. J'étais le chasseur, la proie, et les oiseaux effrayés qui s'envolaient lorsque mes carreaux touchaient leurs cibles. J'étais le marais, tout d'un seul - Ignir y compris. Qu'il ouvre seulement la bouche, et j'étais à son écoute.

[Iris]

Nashmeska était assez indolente, ne prenant pas trop l'affaire au tragique :

"Bah, les druides meurent comment tout le monde et si vous en connaissez un ... moi j'en ai un qui veut vous parler... ça doit être le même."

" Moi j'ai rien à en faire. Je lui ai dit qu'il pouvait devenir un feu-follet, mais c'est un druide, il est buté : il veut s'unir à Eana. Mais pour ça faut pas trop traîner après sa mort. Donc... bon... Je suppose que je vais devoir traduire. "

"Venez quand vous serez prêts."

Et elle les laissa pour retourner dans sa demeure aux vitres de toile d'araignée.

[Etmer_Fachronies]

Yardan écouta tour à tour ses compagnons. Un peu plus tôt, le retour d’un Gaspardin auréolé de succès avait mis le feu aux poudres. De toute évidence, la sentence était tombée. L’endroit pullulait de sbires de l’Immonde, et était corrompu au-delà de leurs craintes les plus sombres. S’aventurer dans l’Antre de la Bête allait se révéler risqué, très risqué. Et tous, ici, risquaient bien plus en s’y confrontant que de simples blessures, ou de finir dans un cachot puant. Devant eux, l’Horreur s’avançait, puissante et dominatrice. En ces lieux, le Mal avait gagné. Putrescence et démence les attendaient en riant, assis sur les corps des nains brisés.

S’isolant un instant dans ses pensées, Yardan rendit une prière silencieuse à Draaz. Enfin, il allait avoir l’occasion de frapper le Serpent. Depuis sa vision dans la caserne de la Garde unaire, une vie plus tôt, depuis l'exécution de la méditation du Sixième Mouvement, il savait. Il savait que c’était là la Voie qu’il devait suivre. Le Dieu Dragon l’avait guidé, et aujourd’hui, il allait agir. Une énergique sans borne inondait son corps à cette idée. D’un geste lent emprunt de respect, il serra les poings, sentant le contact doux de ses bandes fétiches nouées autour de ses mains. Puis il les rapprocha, jusqu’à les faire se toucher devant son front.

L’adepte du Souffle resta ainsi un temps, en accord avec lui-même, en accord avec la Grande Roue et avec la Balance. En cet instant, il faisait parti du flot du Tout. Et bientôt, oui, bientôt, il allait pouvoir bénir ses bandes en les oignant du sang de ses ennemis. Bientôt, les Séides du Serpent tomberaient sous leurs coups.

Reprenant pied avec la réalité, il observa ses compagnons, et acquiesça à son tour quand la question de la méthode fut posée.

- Oui, confirma-t-il. Passer au plus près de la présence de la Lumière du Dieu Forgeron, si tel était le commandement insufflé à l’Eveillée Jasna, alors c’est cela qu’il importe de faire. Soyons lucide cependant, c’est là meilleur voix pour s’interdire tout retour. Une fois dos à la grille, toute retraite nous sera interdite, car les Séides des cryptes nous consumeraient. Ce sera ainsi accomplir tâche et vaincre, ou bien périr en s’y essayant. L’Epreuve de ce Jour est ardue, bien plus qu’accoutumé. Mais toute Destinée s’inscrit dans les Sillons de la Grande Roue, et ainsi nous iront. La Peste soit du Serpent, aujourd’hui nous vaincrons !

Le groupe s’élança ainsi à l’assaut des marches, pénétrant dans l’enceinte imposante du bâtiment corrodé par le Turpide. Ils restèrent un instant abasourdi par le spectacle qui s’offrait à eux. Le temple avait été souillé au plus haut point. Si d’évidence les constructions ouvragées des bâtisseurs des roches avaient tenu bon face aux affres du temps, partout le crachat du Maudit avait apposé sa marque. Des bulbes poisseux du plafond aux relents nauséabonds accrochés sur les murs, tout indiquait la présence du Chancre. Et celle-ci, les Dieux les aient en pitié, était puissamment ancrée.

- Draaz nous assiste, souffla Yardan en découvrant l’affreux spectacle.

Il regarda les alternatives qui s’offraient à eux. L’escalier et le plafond, quitte à venir chatouiller la boursoufflure qui faisait office de lustre monstrueux, ou bien se confronter droit contre la grille, et jongler avec la mousse blanchâtre aux pistils ignobles.

Le moine s’adressa à ses compagnons d’un ton aussi bas que possible.

- Monter au plus haut me semble chose sensée, au regard de la grille souillée. Et comme nous voulons là rendre éclat à ce pagode déchu, assainir le Cristal Sacré est la clef. Voyez, la Langue du Serpent pends bas, le Salut passe par la coupe. Eveillée Jasna, Forgeron t’a-t-il mis en savoir du biais quant à l'annihilation de cette ballante ?

[Edzart]

Je jetai mon bâton à l'un des gobelins qui nous regardaient nous entraîner et, intrigué, suivis Nashmeska.
"Qu'a-t-il dit, jusque là ? Et que voulez-vous dire par "Avoir sur les bras son âme"?"

J'étais non seulement curieux de cette impromptue information, mais aussi réjoui de pouvoir voir à l'œuvre une nécromancie dont je n'avais jusque là jamais été que lecteur, non témoin.

Je trépignai presque à l'idée de voir le druide et d'entendre ce qu'il avait à dire.