Il pleut sur Fort Ditelni, un camp entouré de palissades en bois où stationne un petit contingent de la légion lunaire. Tandis que la guerre fait rage sur la mer Ustalvia, ici, on se contente de s’assurer que personne ne cherche à profiter de la situation, en particulier les barbares des chefferies nordiques, les seigneurs de Lotharingie et les bandes de brigands. Les uns et les autres sont connus pour des raids, pillages et capture d’esclaves.
En matière d’esclavage, personne n’est tout à fait innocent : l’Arolavie elle-même ramena autrefois des prisonniers de guerre pour en faire des esclaves ; aujourd’hui les agressions proviennent surtout du nord. Les esclaves servent dans les mines, dans les champs ou dans les maisons. Certains perdent leur liberté du fait des conflits, d’autres pour cause de dettes, d’autres encore furent capturés par des pirates ou brigands et vendus loin de chez eux, là où personne ne se soucierait de leurs droits.
La garde lunaire a pour charge de protéger les populations d’Arolavie contre ces incursions et leur permettre de mener une existence rude mais sûre. D’autres périls proviennent parfois des terres sauvages où sévissent des monstres parfois jaillis d’anciennes ruines… d'autant que les régions nord et est de l'Arolavie n'ont pour ainsi dire pas été cartographiée. On y trouve les vestiges de la civilisation boréale dont on sait peu de choses, si ce n'est que leur ère s'est achevée sans doute par la faute de la déesse Givreuse.
Le bâti du camp compte une auberge-relais, une forge, un magasin général, une caserne et une écurie. Les lieux sons sous la direction du capitaine Galaktion, un guerrier boiteux, flanqué d’une brute d’aide de camp, le colosse Voukol, terreur des nouveaux venus. Il se fait un plaisir de leur expliquer très rapidement qu'il n'hésite pas à utiliser des châtiments corporels tels que le fouet pour garantir l'ordre. Quant à la fourche patibulaire installée à l'entrée du camp, elle est là aussi bien pour les brigands que pour les mauvais éléments.
Le seul luxe ici est le sauna, et le seul loisir consiste à traîner dans la salle commune de l’auberge, à boire sa solde ou à la jouer. La veuve tenancière, Nana, femme plantureuse et souriante d’une quarantaine d’année s’occupe de l’essentiel avec deux de ses fils, Dari et Vlass ; le troisième travaillant comme marchand itinérant.
...
Le nouveau contingent de gardes lunaires arriva il y a tout juste quelques jours. On leur confia les manteaux gris et broches à motif de croissant de lune permettant de les identifier. Les chambrées étaient par cinq, nombre habituel de membres d'une manicle. Voukol désigna ceux qu'il estimait les plus à même de prendre des responsabilités : Czepble Pahszki et Ludmilla. Il les laissa former leur groupe :
- Ludmilla (chef de manicle), guerrière (style à 2 armes) ; Jasna, guerrière (style protecteur) ; Tauron le druide
- Czepble (chef de manicle), roublard ; Aleksandr Novgarad le magicien ; Levko, roublard
Voukol s'assura qu'ils auraient bien chacun un cheval. Il pesta en découvrant que certains tenaient à peine dessus, mais estima qu'ils finiraient bien par apprendre, quitte à tomber plusieurs fois pour remonter sur leur bourrique.
Les équidés s'avérèrent particulièrement rétifs envers Czepble Pahszki, Jasna et Ludmilla qui galérèrent copieusement à chaque étape, peinant à se faire obéir du canasson, à moins que leurs tentatives pour l'intimider ne fît qu'éveiller ses velléités de rébellion ? ... ou bien peut-être que Voukol leur avait attribué délibérément les pires ? ... En tous cas il se marrait bien à les mater : "Z'êtes trop jolis, les canassons peuvent pas croire que v'z'êtes de la lunaire : après quelques gnons, ça ira d'suite mieux !"
L'épisode humoristique (du point de vue de Voukol) fut coupé par un messager arrivant au camp avec une nouvelle urgente pour le capitaine. Peu après il fit rassembler les gardes expérimentés, refusant que les bleus les accompagnassent. Les nouveaux furent tenus à l'écart de ce qui se passait mais purent sans peine voir que l'essentiel du contingent partait pour une destination au sud.
Ils seraient le seul personnel du fort, avec Voukol et le Capitaine pour les jours à venir.
Le Capitaine semblait estimer imprudent de faire des patrouilles intensives avec des troupes qui n'avaient pas encore appris à manoeuvrer ensemble et il cantonna les nouveaux dans le fort, avec des exercices quotidien, dirigés par Voukol et son crâne rasé et ses blagues vaseuses auxquelles il ne valait mieux pas réagir.
Trois jours que les "vrais" gardes étaient partis.
Il pleuvait et la plupart tuaient le temps dans la salle commune de l'auberge.