La part du mort
Publié : 26 avr. 2017, 21:22
Il y a écrire et écrire, et certaines formes tiennent plus du loisir que d'autres. En développant l'univers, je me suis prise d'affection pour la Lothrienne, et ai eu envie de préciser l'ambiance que je voyais pour cette civilisation. L'écrit de type "romanesque" me prend plus de temps que d'autres (temps de réflexion...). Nous verrons jusqu'où je mène ce récit ^^
Bien sûr si vous souhaitez réagir, vous êtes les bienvenus (même pour dire que vous ne vous êtes jamais tant ennuyé que là
)
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Le convoi
Les roues tournaient lentement sur la route qui remontait le cours du fleuve. Le Blauwen était large et trouble, gonflé par les eaux des pluies et de la fonte des glaciers des Drakenbergen dont on devinait la silhouette au loin, au sud. Au nord, les collines n’étaient que forêts denses où les verts profonds des résineux le disputaient au camaïeu tendre des bourgeons et des jeunes feuilles. Les trilles d’oiseau résonnaient en écho, mais ils gardaient le silence. Partout, la vie renaissait, alors qu’ils ramenaient un enfant mort.
Chaque pas qui les ramenait vers leur destination était lourd, attiré sous terre par la glaise obstinée du chemin détrempé. Seule la conscience aiguë du devoir les contraignait au silence quand ils auraient voulu jurer contre les chevaux, le poids du chargement ou l’état des routes. La présence du révérend aster Arcadius de la Maison Havskatt leur interdisait le moindre manque de respect au défunt. Ils devaient le ramener sur ses terres, celles qui l’avaient vu naître, et dont il aurait dû hériter.
Droit, mince, enveloppé d’un ample manteau chasuble de laine sombre, le religieux chevauchait en tête. Ses cheveux courts étaient d’un gris d’acier, tandis que sa peau avait une teinte de vieux parchemin. Il évoquait l’épée et l’étude, la force et le savoir. Issu d’une lignée noble, il s’était tourné volontairement vers la religion, s’engageant avec passion dans l’église asterienne – la seule désormais autorisée dans le royaume de Lothrienne. Au fil des années, il avait su gagner le respect de ses pairs et des seigneurs. Négociateur patient et bon connaisseur du pays, il était l’une des personnes de confiance auxquelles l’hiérarque confiait des missions diplomatiques informelles. Aujourd’hui son devoir était de ramener la dépouille de herrsel Gall, feu l’héritier de la Maison Henbane, mort au monastère de l’Arche.
De Broarstad jusqu’à Vattenbygd, domaine des Henbane, il fallait trois jours à un bon cavalier durant la belle saison. Les pluies et les sols détrempés ralentissaient l’avancée, doublant presque le temps de trajet. Chaque jour apportait son lot d’incidents.
« Skitroll ! » jura Hugrok, presque en même temps qu’un bruit métallique cassant. Le nordique n’était pas sterien.
Le chariot s’immobilisa. L’homme montra la roue près de lui à la cheffe d’équipage qui confirma la mauvaise nouvelle. Il fallait s’arrêter pour réparer. Déjà certains s’étiraient en soupirant et se libéraient de leurs bagages sur l’herbe des bas-côtés. L’un des cavaliers alla un peu plus en avant pour reconnaître le chemin, ou simplement pour s’occuper.
Sans poser pied à terre dans la boue, le révérend aster Arcadius suivait les opérations sans les commenter. Il savait que Plesou connaissait son affaire. La femme dirigeait une petite compagnie marchande qui fournissait au besoin serviteur et escorte à des clients. Il préférait voyager sans soldat de la foi, c’était plus discret et cela mettait moins les gens sur la défensive.
« Il y a un village tout près, nous pourrions… » commença Plesou, quand le cavalier revint au trot pour lancer :
– Il y a un village tout près ! Nous pourrions peut-être y trouver de l’aide ?
– En effet, c’est ce que proposait déjà la cheffe Plesou quand vous nous avez interrompus, confirma Arcadius.
– Oh pardon, je pensais…
Le regard de l’aster se porta vers l’impatient. Son clerc habituel se remettait de la maladie qui avait emporté herrsel Gall Henbane. L’épidémie avait sévit de longues semaines cet hiver. Il aurait préféré pouvoir compter sur un autre garçon concentré et réservé, au lieu de quoi, il s’était contraint d’emmener une jeune fille, encore novice – et qui ne prononcerait peut-être jamais ses vœux. Damsel Aleth était l’aînée de la Maison Treskydd, située bien plus au sud, mais cela faisait déjà cinq ans qu’elle vivait au monastère en tant que novice. Arcadius ne connaissait pas les détails, il savait seulement que c’était le choix de la famille. En Lothrienne, chaque chef de maison choisissait son héritier qui pouvait être un garçon ou une fille, un aîné, un cadet ou le dernier-né. Cela devait permettre de confier le destin de la maison à la personne la plus méritante, mais cela nourrissait aussi les jalousies et les intrigues. Au vu de l’âge de damsel Aleth, elle était arrivée au monastère entre dix et douze ans. L’envoyer si loin de chez elle pouvait servir à la mettre à l’abri d’une menace tout autant que l’empêcher de prétendre à la succession. Elle arrivait à la fin de son noviciat. Bientôt elle devrait retourner dans le siècle pour une année afin de mûrir la décision d’entrer dans les ordres ou retourner à l’existence d’une jeune noble.
Montée sur un cheval gris, l’adolescente baissait la tête en essayant de rester digne et attendait désormais les instructions.
« Allez-y. » autorisa Arcadius.
Aussitôt, un sourire gai revint sur sa figure, et elle repartit au petit galop, sa longue natte dansant au gré de ses mouvements ; sa silhouette grise disparaissant bientôt à leur vue.
« Elle voulait bien faire. J’ai l’impression que ça fait si longtemps qu’elle était enfermée au monastère que la première sortie possible est une fête pour elle – même si c’est pour convoyer un mort. » plaida Plesou sans insister, avant de retourner à la supervision des opérations.
L’aster demeura silencieux. Au fond de lui, Arcadius savait qu’il ne pouvait lui en vouloir pour cela, mais cela ne changeait rien à son état d’esprit à son égard. Quelque chose le gênait. Peut-être était-ce la manière dont elle lui avait été imposé ? Il ne se départait pas du sentiment qu’elle n’accomplissait pas uniquement sa dernière mission au service de l’étoile.
Bien sûr si vous souhaitez réagir, vous êtes les bienvenus (même pour dire que vous ne vous êtes jamais tant ennuyé que là

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Le convoi
Les roues tournaient lentement sur la route qui remontait le cours du fleuve. Le Blauwen était large et trouble, gonflé par les eaux des pluies et de la fonte des glaciers des Drakenbergen dont on devinait la silhouette au loin, au sud. Au nord, les collines n’étaient que forêts denses où les verts profonds des résineux le disputaient au camaïeu tendre des bourgeons et des jeunes feuilles. Les trilles d’oiseau résonnaient en écho, mais ils gardaient le silence. Partout, la vie renaissait, alors qu’ils ramenaient un enfant mort.
Chaque pas qui les ramenait vers leur destination était lourd, attiré sous terre par la glaise obstinée du chemin détrempé. Seule la conscience aiguë du devoir les contraignait au silence quand ils auraient voulu jurer contre les chevaux, le poids du chargement ou l’état des routes. La présence du révérend aster Arcadius de la Maison Havskatt leur interdisait le moindre manque de respect au défunt. Ils devaient le ramener sur ses terres, celles qui l’avaient vu naître, et dont il aurait dû hériter.
Droit, mince, enveloppé d’un ample manteau chasuble de laine sombre, le religieux chevauchait en tête. Ses cheveux courts étaient d’un gris d’acier, tandis que sa peau avait une teinte de vieux parchemin. Il évoquait l’épée et l’étude, la force et le savoir. Issu d’une lignée noble, il s’était tourné volontairement vers la religion, s’engageant avec passion dans l’église asterienne – la seule désormais autorisée dans le royaume de Lothrienne. Au fil des années, il avait su gagner le respect de ses pairs et des seigneurs. Négociateur patient et bon connaisseur du pays, il était l’une des personnes de confiance auxquelles l’hiérarque confiait des missions diplomatiques informelles. Aujourd’hui son devoir était de ramener la dépouille de herrsel Gall, feu l’héritier de la Maison Henbane, mort au monastère de l’Arche.
De Broarstad jusqu’à Vattenbygd, domaine des Henbane, il fallait trois jours à un bon cavalier durant la belle saison. Les pluies et les sols détrempés ralentissaient l’avancée, doublant presque le temps de trajet. Chaque jour apportait son lot d’incidents.
« Skitroll ! » jura Hugrok, presque en même temps qu’un bruit métallique cassant. Le nordique n’était pas sterien.
Le chariot s’immobilisa. L’homme montra la roue près de lui à la cheffe d’équipage qui confirma la mauvaise nouvelle. Il fallait s’arrêter pour réparer. Déjà certains s’étiraient en soupirant et se libéraient de leurs bagages sur l’herbe des bas-côtés. L’un des cavaliers alla un peu plus en avant pour reconnaître le chemin, ou simplement pour s’occuper.
Sans poser pied à terre dans la boue, le révérend aster Arcadius suivait les opérations sans les commenter. Il savait que Plesou connaissait son affaire. La femme dirigeait une petite compagnie marchande qui fournissait au besoin serviteur et escorte à des clients. Il préférait voyager sans soldat de la foi, c’était plus discret et cela mettait moins les gens sur la défensive.
« Il y a un village tout près, nous pourrions… » commença Plesou, quand le cavalier revint au trot pour lancer :
– Il y a un village tout près ! Nous pourrions peut-être y trouver de l’aide ?
– En effet, c’est ce que proposait déjà la cheffe Plesou quand vous nous avez interrompus, confirma Arcadius.
– Oh pardon, je pensais…
Le regard de l’aster se porta vers l’impatient. Son clerc habituel se remettait de la maladie qui avait emporté herrsel Gall Henbane. L’épidémie avait sévit de longues semaines cet hiver. Il aurait préféré pouvoir compter sur un autre garçon concentré et réservé, au lieu de quoi, il s’était contraint d’emmener une jeune fille, encore novice – et qui ne prononcerait peut-être jamais ses vœux. Damsel Aleth était l’aînée de la Maison Treskydd, située bien plus au sud, mais cela faisait déjà cinq ans qu’elle vivait au monastère en tant que novice. Arcadius ne connaissait pas les détails, il savait seulement que c’était le choix de la famille. En Lothrienne, chaque chef de maison choisissait son héritier qui pouvait être un garçon ou une fille, un aîné, un cadet ou le dernier-né. Cela devait permettre de confier le destin de la maison à la personne la plus méritante, mais cela nourrissait aussi les jalousies et les intrigues. Au vu de l’âge de damsel Aleth, elle était arrivée au monastère entre dix et douze ans. L’envoyer si loin de chez elle pouvait servir à la mettre à l’abri d’une menace tout autant que l’empêcher de prétendre à la succession. Elle arrivait à la fin de son noviciat. Bientôt elle devrait retourner dans le siècle pour une année afin de mûrir la décision d’entrer dans les ordres ou retourner à l’existence d’une jeune noble.
Montée sur un cheval gris, l’adolescente baissait la tête en essayant de rester digne et attendait désormais les instructions.
« Allez-y. » autorisa Arcadius.
Aussitôt, un sourire gai revint sur sa figure, et elle repartit au petit galop, sa longue natte dansant au gré de ses mouvements ; sa silhouette grise disparaissant bientôt à leur vue.
« Elle voulait bien faire. J’ai l’impression que ça fait si longtemps qu’elle était enfermée au monastère que la première sortie possible est une fête pour elle – même si c’est pour convoyer un mort. » plaida Plesou sans insister, avant de retourner à la supervision des opérations.
L’aster demeura silencieux. Au fond de lui, Arcadius savait qu’il ne pouvait lui en vouloir pour cela, mais cela ne changeait rien à son état d’esprit à son égard. Quelque chose le gênait. Peut-être était-ce la manière dont elle lui avait été imposé ? Il ne se départait pas du sentiment qu’elle n’accomplissait pas uniquement sa dernière mission au service de l’étoile.