Le Manoir de Waldemar et le Bosquet de l'Imperator
"Venez... Entrez... Je vous attendais."
C'est sur ces mots énigmatiques que le mystérieux étranger accueille les Héros en sa demeure, s'effaçant sur le pas de la porte pour les laisser entrer. Hésitants, les PJ finissent par le suivre à l'intérieur. Ils sont pris de court lorsque le souffle vient à leur manquer : la sensation ne dure pourtant qu'une seconde et s'estompe tout aussi subitement tandis que leur hôte les guide à travers de sombres couloirs richement décorés, vraisemblablement venus d'un autre temps. Il les fait asseoir dans un petit salon près d'un feu ronflant dans l'imposante cheminée et s'adresse à eux sans plus attendre, d'une voix très lente et râpeuse, comme s'il traînait avec lui des siècles de vie.
"Mon nom est Weiss. Ce manoir est ma demeure. Je suis autant son gardien que son prisonnier. D'autres que vous sont déjà parvenus jusqu'ici, mais vous... votre place est ailleurs. Les fils de la Destinée vous relient. Il ne tient qu'à vous de les suivre, ou de les délier."
Avant que les Héros, pour le moins confus, n'aient le temps de réagir, chacun entend alors la voix de Weiss résonner à même son esprit...
- Hernan: Guerrier tourmenté par les actions néfastes de ta vie passée, ton combat n'est pas terminé. Un jour, tu te retrouveras face à un choix impossible: mourir au service de ton pays, ou vivre pour sauver tes amis.
- Youri: Étrange... Je vois les fils de Destinée qui te relient aux autres, mais on dirait que le voile de Grand-Mère Hiver te dissimule aux yeux de toutes répercussions... Ton chemin sera celui que toi seul décideras de suivre.
- Margrit: Jeune chasseresse, porte tes pas par-delà les terres qui t'ont vue naître. Cherche la cinquième branche de l'œil étoilé. Confrontée à ton passé, que feras-tu ? De ta décision dépendre le sort d'une Nation...
- Umberto: Toi qui cherches le savoir de mes anciens frères, laisse les traces de notre passé te guider. Seras-tu à même de retrouver la Rose de Charousse ? Souviens-toi, elle seule est à même de défaire le sorcier au lys.
"Vous devez partir à présent. Le manoir ne veut pas de vous. Une âme en peine erre en ces bois et vous devriez mettre à un terme à ses souffrances. Laissez-vous guider jusqu'au cœur de la forêt : la mousse est votre alliée, mais les arbres peuvent cacher bien pire menace. À présent, partez. Je sens la faim revenir... Vous ne devez pas être là... Partez..."
Sans avoir échangé ne serait-ce qu'un mot, les Héros, voyant les yeux de Weiss s'injecter de sang, ses traits se déformer et ses mains se crisper en serres acérées, décident de suivre son conseil : ils se ruent hors du manoir, assaillis par les pensées affamées du vampire. Ils ressentent à nouveau l'impression d'étouffement en passant le seuil de la porte et débouchent dans une forêt que les ténèbres ont envahie. Ils ont pénétré dans le manoir vers midi ; la nuit est tombée depuis un moment quand ils en ressortent...
________________________
De retour dans la forêt, les PJ reprennent leurs recherches tout en discutant de l'expérience qu'ils viennent de vivre. Margrit est tombée dans un mutisme contemplatif tandis qu'Hernan et Youri s'interrogent sur la nature de leur hôte. Seul Umberto a compris de quoi il retournait, mais il ferme la marche, absorbé par ses pensées. Autour d'eux, les arbres sont serrés, l'écorce noir, les frondaisons basses et sombres. Pas un oiseau, pas un animal ne semble habiter ces bois, ce qui est pour le moins étrange—Hernan redouble d'ailleurs de vigilance.
Ils débouchent alors sur une petite clairière qui a visiblement servi à des bûcherons : deux tentes sont plantées à la lisière des arbres, un feu de camp éteint depuis longtemps trône au milieu de l'espace dégagé ; sur le côté, divers outils (haches, chaines, cordes, crochets) sont entassés près d'une charrette pleine de troncs sciés. Deux chevaux éventrés sont couchés sur le flanc, à moitié dévoré. Une pagaille bestiale règne sur la scène. S'approchant des deux tentes, Margrit comprend rapidement qu'il s'agit du campement de Kurt, le bûcheron disparu, et de son fils Walter, qui a été retrouvé à moitié fou.
Des fourrés obscurs surgit alors un énorme loup bipède qui se jette sur Youri et le griffe sauvagement en travers du dos. Alertés par l'œil vif d'Hernan, les deux autres le rejoignent pour secourir Youri : tandis que Margrit tente de calmer le monstre écumant en l'appelant par son prénom, Astrid, et lui parlant de Lena, sa fiancée, les trois hommes et loup-garou échangent plusieurs coups d'épée, de hache et de griffes ; après avoir étourdi le monstre d'un puissant coup à la tête, ils s'organisent alors pour attacher la créature avec les lourdes chaînes afin de la maîtriser et de la faire tomber au sol. La voix de Margrit, se voulant rassurante, continue de déverser un flot de paroles bienveillantes, ce qui aide à apaiser quelque peu le monstre.
Des tensions montent alors au sein du groupe : Umberto souhaite tuer le monstre pour l'empêcher de nuire ; Margrit s'y oppose férocement, protestant qu'il ne s'agit pas d'un monstre mais d'une victime d'une malédiction. Pendant ce temps-là, Youri explore les alentours à la recherche de Kurt : il ne trouve aucune trace du pauvre homme, mais son expérience d'éclaireur cosaque lui permet de découvrir un chemin de mousse qui mène à un petit bosquet où glougloute une eau fraîche au milieu d'un petit oasis de verdure foisonnante.
À son retour, les PJ décident d'y traîner le loup-garou pour vérifier les dires de Weiss : si la source est bel et bien le cœur de la forêt qu'il leur a mentionné...
Effectivement, après avoir immergé le monstre dans l'eau claire, sa fourrure tombe, ses griffes se rétractent et son ossature se reforme pour laisser place à une jeune Eisenör nue et inconsciente. Youri ayant décidé de faire trempette dans la source pour guérir ses blessures en ressort avec une peau de bébé, vierge de toutes les cicatrices de sa vie passée ! Enfin, les Héros finissent leur nuit à l'ombre du bosquet, protégés par les eaux bénites.
________________________
Le lendemain, en prenant le chemin du retour, les PJ informent Astrid de la situation mais n'abordent pas encore le sujet de la lycanthropie. La jeune femme est totalement hébétée, persuadée d'avoir encore fait une crise de somnanbulisme. L'humeur est plus joyeuse, tout comme les bois autour d'eux semblent plus clairsemés, moins oppressants. C'est comme si les Wälder avaient perdu un peu de leur côté inquiétant maintenant que la malédiction a été levée.
De retour à Kummerholt, ils sont accueillis par des vivas et de grands cris de joie. Malgré les pertes récentes, le sauvetage d'Astrid couplé à celui des villageois il y a deux jours suffit à insuffler un peu de bonheur dans le cœur des habitants. Tout le monde se retrouve dans la taverne d'Alwin ; Astrid, elle, est conduite par sa bien-aimée dans le "cabinet" de Rémy pour se reposer.
Voici ce que les PJ apprirent au cours de l'après-midi :
- Les bandits s'étant échappés lors de l'affrontement contre les Héros, il y a deux jours, ont été retrouvés par les habitants d'un village voisin à moitié fous de terreur. Alors qu'ils cherchaient sans doute à retrouver leur chef, ils se sont arrêtés dans les bois pour la nuit. Cinq d'entre eux y ont perdu la tête, des membres et la vie ; deux autres sont portés disparus. D'après les bribes inintelligibles des trois survivants, "un arbre souriant les aurait attaqué".
- Les bûcherons ont décidé de ne plus s'aventurer trop en avant dans la forêt : le bois y est de meilleure qualité, mais c'est trop dangereux pour s'y risquer. Le cadavre de Kurt a été retrouvé, non pas dévoré par les loups comme on s'y attendait, mais la tête, le bras et le tronc tranchés. Une expression d'horreur indicible était peinte sur son visage.
- Rémy vient porter la nouvelle au village qu'Astrid se repose et semble ne souffrir d'aucune séquelle de son accident. Margrit se rend au chevet de la jeune femme et y retrouve Lena : elle lui confie alors le secret des transformations d'Astrid, et lui explique du mieux possible comment retrouver le bosquet de l'Imperator.
- Margrit est abordée par Martin Letzer, un ancien camarade d'université qui passait dans la région. Martin et elle s'éloignent des Héros pendant une petite heure afin de rattraper le temps perdu, car Martin doit repartir très vite s'il veut arriver à temps à Freiburg pour un rendez-vous important.
- Une caravane marchande arrive en ville. Celle-ci est dirigée par Asrini Bénou, une belle métisse, mi-croissantine mi-aksoumite qui tape immédiatement dans l'œil du taciturne Hernan. Celui-ci passe un peu de temps en sa compagnie pour faire connaissance tandis que Youri et Umberto étudient les marchandises d'un œil curieux.
- Don Felipe aurait été destitué de ses terres et de ses biens. On dit qu'El Vagabundo serait intervenu pour dévoiler les actes corrompus du Grande.
(Pour rappel, les événements de ce scénario ce déroulent plusieurs semaines après le premier.)
- La Société des Explorateurs a obtenu des permis de fouille pour deux nouveaux sites de ruines syrneth : le premier est situé dans les montagnes du Vesten ; le second est au sud de Freiburg.
- Les Hexenjäger de Pösen ont traqué et attrapé un hexe renégat en Sarmatie. Celui-ci doit être ramené en Pösen pour être jugé. Le convoi passera par Szablewo, Noursk et Freiburg.
- Une créature légendaire aurait refait surface dans les landes reculées d'Avalon. On ne sait pas si c'est un tour des Sidhes ou une manifestation lointaine de Grand-Mère Hiver, mais la créature ressemblerait à un amas de boue et de mousse humanoïde de plus de deux mètres de haut.
________________________
Le prochain post contiendra la fin de la session "La Traque". Il s'est déroulé beaucoup, beaucoup de choses sur deux sessions de 4h, à 2-3 semaines d'intervalle. Mes joueurs ont passé autant de temps à vadrouiller dans les bois qu'à interagir avec les habitants du village. Mis à part Asrini, les PNJ ne sont pas encore très élaborés. Plus ça va, plus vous rencontrerez des PNJ originaux (c-à-d de ma création) et attachants (je l'espère !)
Vous aurez remarqué que, jusque là, je n'ai pas trop parlé des Histoires des Héros. C'est une mécanique que je trouve fantastique, mais que j'ai du mal à concilier avec la trame générale de mon histoire ; de surcroît, mes joueurs n'avaient pas l'air plus emballés que ça par le système. Cette mécanique est passée au second plan : quand ils ont une idée chouette, je leur suggère des façons de l'intégrer dans la campagne sans que ça ne dévie trop le personnage de l'arc narratif principal ; sinon, ils se contentent des points d'EXP qui viennent clôturer chaque session. À titre d'exemple, le scénario de la "Traque" leur a rapporté 3 points ; les étapes étaient :
- 1. rejoindre Kummerholt
- 2. traquer le werwolf
- 3. le tuer ou lever sa malédiction
J'espère que ces compte-rendus continuent de vous plaire ; n'hésitez pas à me dire s'il y a des choses que je dois modifier pour améliorer la lecture ou si tout vous convient tel quel. Et si vous avez des questions ou des critiques, elles sont les bienvenues.