par Etmer_Fachronies »
28 nov. 2020, 22:00
Calme et sérénité. Un calme ondoyant. Une sérénité radieuse. Partout autour, le flot coulait en rythme, sans heurt. Les pastelles luisaient d’une douceur chaude, les ors scintillaient au gré des respirations.
Un endroit que Yardan connaissait bien. Le nexus de ses pensées. Un lieu hors du temps, loin de l’emprise du présent et de l’immédiateté. Un sanctuaire secret, que le moine arpentait lors de ses pérégrinations mentales, ces méditations si chères aux enseignements du Dieu Dragon.
Pour celui qui quêtait l’ataraxie, ce refuge était tant un aboutissement qu’un point de départ. Un repère, solidement ancré dans l’immensité du Soi.
Pourtant, en cette heure, quelque chose dénotait dans son for intérieur. Il était en pleine bataille. Pourquoi venir ici ? A aucun moment le disciple de Draaz ne souvenait avoir arpenté le cheminement qui menait à cet asile.
Tu as perdu la raison. Peut-être faut-il être fou pour briser les chaînes de son destin ?
La voix étrangère raisonna claire, distincte dans un lieu où le son n’existait pas. Une once de surprise traversa les pensées du moine. Puis elle disparut, rapidement dissoute par l’ambiance quiète de l’éther impavide.
D’instinct, Yardan savait de qui il s’agissait. La tonalité, les intonations, le phrasé… Tout concordait. Le marionnettiste. L’être qu’ils avaient combattu. Le télépathe qui les avait apostrophés. Celui que les dieux avaient désigné comme Obstacle dans l’ordonnancement du Grand Tout.
Un invité imprévu, on dirait. Etait-ce lui qui avait plongé Yardan dans cette transe familière ? Le moine ne se souvenait pas exactement. Il se rappelait de son impulsion, de son accrochage au corps invisible… et d’une chute. Décidément, le cheminement vers l’Envol est toujours jonché de surprise.
Pugnace, le moine concentra sa volonté pour répondre à l’entité extérieure.
Non, cela n’est vrai. Toujours tourne la Grande Roue, et Son Mouvement entraîne les Requérants dans Son Sillon. Pourtant, la fatalité n’existe qu’à l’aulne de la résignation de l’éprouvé. Draaz, bénit soit-il, enseigne à ceux qui suivent sa Voie que Volonté et Résilience sont les Clefs pour infléchir le Sillon qui est sien.
Un silence. L’ombre semblait réfléchir. Amusée et curieuse.
Regarde le monde par mes yeux.
Des images surprenantes fusèrent dans l’esprit du moine. Des images froides et précises, transparentes et acérées. Comme les parois de verres qu’ils avaient rencontré, tantôt. Le disciple du Commencement découvrait un spectacle fragmenté, avec des parcelles de réalité qui s’entrechoquaient les unes aux autres. Une apparente cohésion d’ensemble, mais une infinité de poches irréconciliables à jamais brisées.
Le message était limpide. Et pourtant, Yardan ne put s’empêcher de ressentir de la tristesse à l’égard de cette entité perdue, noyée dans une vision si tragique des choses.
L’immensité du Grand Tout est une réalité. Et des évidences aux antipodes les unes des autres cohabitent souvent, cela est aussi chose vraie. Lors de mes voyages, j’ai pu constater ce schisme dans les villes, les pays et même dans les cœurs des gens que mes pas ont croisé. Et pourtant, cela n’est en rien preuve de discorde. Bien au contraire. Le Grand Tout est riche de par sa diversité, et non brisé de par elle. Là où vous voyez fracture, Draaz y voit concordance. Là où vous voyez défaut, Draaz y voit chance et apprentissage. Sur une même image, deux visions fondamentalement divergentes sont possibles. Sachez que je plains la sécheresse de l’empathie qui est vôtre, Maître des Pantins.
Un silence, de nouveau. Une réflexion, une balance. Des doutes. Puis une satisfaction profonde quant aux idées avancées, quant au fait pur de réfléchir.
Tu es un être intéressant, élu d’Eternité ancré dans ta foi. Tu as vaincu le destin qui devait amener Matian à me tuer en mourant avec moi.
Yardan secoua mentalement la tête de déni.
Les Dires du Dieu Dragon sont unanimes. Chaque être vraiment conscient est maître de décider là où se poseront ses pas.
Tu as raison, nous voyons la même image, mais de façon opposée. Après tout, mes maîtres m’ont façonné semblable au reflet qu’ils jugent à même de les servir au mieux.
Le Maître des Pantins manipulé. Voilà un axiome qui ne manque pas d’ironie.
Tu n’en effleures que la surface. Cette ironie est la pierre angulaire de ma genèse, elle me convient pleinement. L’important n’est pas la cause, mais le fait. J’existe, c'est ce qui compte.
En cela, les enseignements du Dieu Dragon vibrent à l’unisson de votre constat. L’acte est ce qui concrétise l’intention. Agir est donc en soi un geste sacré. Mais que vous partagiez cette pensée est très surprenant. Car en vérité, cette simple réflexion, ce simple constat que l’existence traduit l’essence rentre en conflit avec votre loyauté aveugle, et votre fatalisme infondé.
Détrompe-toi, homme de foi. Il est certaines choses dont on ne peut se défaire avant la mort. Je n'appréciais pas mes anciens maîtres aboleths. Mais ils m’avaient investi de la mission impérieuse d’étendre leur emprise. J’ai exécuté leurs volontés. Sans passion à la tâche. Mais avec ardeur, précision et minutie. Puis vous m'avez vaincu, et brisé mes efforts. Sache que je ne vous en tiens pas rancune. La présence de mon âme d'homoncule ici est sa meilleure preuve d’existence. Je t’en suis reconnaissant.
Ce fut au tour de Yardan de rester silencieux un instant.
Nous avons donc contré les plans ignobles de vos maîtres en ces lieux ?
Oui. Mais à l'échelle d'un monde, c'est peu. Mes maîtres ont toujours plusieurs plans en cours. Et d'autres sont pour vous dangereusement avancés. Bien plus que le mien, qui n'était qu'un simple rouage.
Une secousse désagréable parcouru le nexus des pensées du moine. Il restait tant encore à faire. Un arbre a été abattu, mais la forêt reste dense et impénétrable.
La voix du marionnettiste résonna de nouveau.
J’avoue être curieux. Pourquoi être venu si loin dans les entrailles de la terre, ancien habitant des îles de la surface ?
Il s’agit là d’une Mission Divine, qui nous a été enjointe par les Dieux de la Triade du Renouveau. Et aussi de l’expression de notre Volonté, car nous l’avons acceptée en notre âme et conscience. C’est Justice que de traquer les Suppôts de l’Horreur, qui ont fomenté tant de siècle plus tôt l’anéantissement du monde de jadis.
Yardan senti son visiteur éprouver un sentiment nouveau. De la compréhension, peut-être ?
Ah, oui, l’extinction de masse. Les cendres et la nuit. Ce plan est toujours en cours. Mes anciens maîtres ne raisonnent pas sur l’échelle des races conscientes d’Eana. Un premier échec ne les empêche pas de recommencer. Les conditions de votre plan d’existence ne leur conviennent pas. L'air de leur foyer dépourvu d'astre du jour est bien plus acide et dense que le vôtre. Pour s'installer, ils doivent y remédier. Vos vies sont juste incompatibles avec ces conditions, n'y voyez rien de personnel.
Rien de personnel ? Je n'y crois guère. Pourquoi alors transformer en monstres difformes tous les vivants qui s'aventurent entre leurs mains ?
Le mutagène est un geste de leur part pour vous acclimater à leurs conditions. Il est encore en phase d'ajustement. A terme, cela pourra aussi servir à inciter les gens transformés à aller dans leur sens, et à renverser le rapport de force en leur faveur.
L’esprit du moine se durcit un instant, avant de se détendre de nouveau. Cette confirmation aussi brutale des soupçons de son groupe ne réjouissait guère l’adepte du geste, mais il y voyait la preuve que leurs choix passés avaient été les bons.
Avec aisance, l’esprit du marionnettiste reprit son discours, sur le même ton professoral.
Comme je disais, tu es intéressant, élu d’éternité. Ou Yardan, si tu préfères. Ton esprit a eu aperçu des tréfonds d’Eaux Noires, ce dont peu peuvent se vanter. Mais au lieu d’en sortir brisé par la folie, tu as choisi de faire tienne une partie des pouvoirs dormants des fosses. C’est captivant.
Le moine se garda bien d’intervenir sur le sujet, lui-même balbutiant encore dans la maîtrise des énergies approchées lors de son étonnant voyage dans les brumes. Plus tard, peut-être.
Le rôle des élus, les truchements du destin, la capacité de choix noyé dans un maelstrom déterminé… ce sont des thèmes passionnants. Par exemple, élu d’éternité, dis-moi… est-on libre en étant l'outil d'un destin contre un autre destin ?
Je vous ai déjà répondu. Et puis, ce présent disciple se contente d’appliquer les préceptes des enseignements de Draaz, loué soit-il.
Tu esquives ma question, élu. Mais qu’importe. Je me réjouis que ce soit toi mon hôte pour ces temps à venir. Les autres membres de ton groupe sont plus contrastés. Certains ne manquent pas de panache. D’autres ne méritent que mon mépris. Cette jeune melessë, Caliobé, est d’une vulgarité sans borne. Je ne l'aime pas. Et cet homme à l’œil torve qui la suit comme un petit chien fidèle aussi.
Yardan hocha la tête de déni.
Une même scène, et deux vues différentes. Décidément, nous y revenons toujours, Maître des Pantins. Pensez ce que vous souhaitez de mes Frères de Mission. Mais ayez la décence de garder ces jugements pour vous. J’ai traversé avec eux Feu, Mort et Renaissance. La Balance est seule juge des actes des vivants.
Un nouveau silence, plus réservé.
Arrêtons ici pour cette fois, élu d’Eternité. Nous aurons d’autres occasions. Tes compagnons s’impatientent, et les blessures de ta chair sont à traiter. Je suis désormais un simple observateur de votre combat, et je suis de ton côté car tu m'as vaincu. Sache ainsi que la sève de mes agaves est curative. Au revoir.
Petit à petit, l’ombre de celui qui fut le marionnettiste se dissipa. Et le nexus, à son tour, reprit son aspect si familier, sans la moindre perturbation dans le kaléidoscope diapré de son for intérieur. Pourtant, en se concentrant, le moine sentait l’écho du spectre de leur ennemi. Tapis quelque part, prêt à revenir échanger s’il le sollicitait. C’était une sensation nouvelle, et étrange. Sans menace directe, mais qui dérogeait à la quiétude ordinaire.
Yardan décida dans l'immédiat de rester stoïque. Je ferai avec. Il n’y avait pas le choix, de toute façon. Heureusement, la présence de l’âme du défunt ne semblait pas receler de danger. Si cela se maintenait ainsi, Yardan essaierait de converser de nouveau avec l'ancien laquais des aboleths, les Sombres.
D’une impulsion mentale, le moine mit fin à la transe dans l’éther de ses pensées.
La sensation de plusieurs couches qu’on déchire, palier après palier…
Yardan ouvrit les yeux. Sa vision était encore floue. Soudain, des vives brûlures remontèrent à son esprit. Ses mains, ses bras, son torse, ses jambes… il brûlait, comme criblé de multiples coupures. Gémonies, que s’est-il passé ? Ses muscles, cependant, semblaient répondre.
Il se mit sur un coude, et leva une main avec difficulté pour se frotter les yeux. Il était allongé par terre, de toute évidence.
[Commun des Profondeurs] Draaz m’assiste, où suis-je ?
Les Aigles d'Arolavie : Yardan, adepte du Dieu-Dragon - Moine de niveau
6
CA
15 - PV
45/45 (6d8) - DV
6/6 (d8+2) - Points Ki
6/6 - Héroïsme
3/3 - Gourde
10/10