- Bon sang, ça fait mal ! Essayons de trouver un endroit à l'abri que l'on pourra fortifier à loisir avant de nous reposer, nous sommes des cibles trop faciles ici, à découvert. Et il est fort possible que les bruits du combat en attirent d'autres. Allez, en avant !
Yardan acquiesça à l’injonction de son ordonnante. Aller se mettre à l’abri, c’était là sagesse, en effet. Ils devaient tous se reposer, et, autant que possible, en lieu sûr. Bandant sa volonté, l’adepte parvint à se remettre sur ses jambes. Il serra les dents, retenant de justesse un cri de douleur. Une myriade d’étoiles brillantes vint danser devant ses yeux. Il vacilla, mais se maintint par réflexe.
La souffrance était grande, c’était là chose certaine. Draaz lui en soit témoin, asséner Justice à ces ignominies avait été un âpre combat. Sa peau tuméfiée le lançait atrocement, et des ecchymoses d’un bleu sombre commençaient à fleurir là où ses bras avaient encaissé le choc terrible des tentacules. Une douleur sourde flamboyait aussi où le bec du monstre avait frappé. A bien y réfléchir, il s’en était fallu de peu pour que l’affrontement vire au massacre.
Yardan se morigéna. Il avait été présomptueux. Son cri d’alarme et ses conseils de placements n’avaient servi à rien, si ce n’est à perdre un temps précieux contre leurs adversaires. Ces engeances nées des phantasmes les plus abjects étaient fort prestes, et avaient fondu sur leur groupe en un rien de temps. Le moine se jura de ne pas oublier cette leçon, et d’essayer d’être plus apte à jauger leurs ennemis pour les temps à venir.
Se retournant, il jeta un dernier coup d’œil aux carcasses encore chaudes des deux sbires du Serpent. L’Epreuve née de ces monstres était de taille, et il avait failli échouer. La victoire était savoureuse, certes, mais le prix de celle-ci était trop grand. Aujourd’hui, ils avaient dû leur victoire à la Chance. Et même s’il était plaisant de savoir que les rayons de la Grande Roue s’arquaient en leur sort, nul n’ignorait que cela pouvait changer par négligence et suffisance. Oui, en cette heure, Yardan devait reconnaître qu’ils étaient faibles.
Après l’euphorie de leur précédente bataille, le dépit était grand. Il ne pouvait cependant qu’accepter sa faiblesse actuelle, et mesurer le chemin qu’il lui restait à parcourir. Le Grand Tout était vaste, bien plus qu’il ne l’avait supposé à son départ du Commencement. La Grande Roue tournait, et lui suivait le sillon qui était le sien. Mais pour mener à bien son but, il allait devoir progresser, continuer d’apprendre. Pour sa Mission, pour sa Responsabilité envers les siens et envers ses sœurs de manicle désormais, acquérir la force de s’accomplir était première nécessité. Il souri, pensant un instant à ce que lui et sa manicle avaient traversé depuis leur entrée dans la garde lunaire. Si l’Epreuve des Premiers Jours était si intense, la suite promettait d’être grandiose.
S’arrachant à ses pensées, il suivit Ludmilla et Jasna vers l’édifice massif, le bastion proche de la citadelle naine. Terdéric, qui les avait précédés, en avait déjà franchi les portes. Le souvenir du village massacré s’imposa un instant dans son esprit. Le moine s’interrogea quant à la nécessité de brûler les carcasses des deux monstres. Mais non, c’était billevesée. Dans leur état actuel, ils se devaient de s’abriter, ils aviseraient ensuite.
Une fois à l’intérieur, les lourdes portes claquèrent derrière eux, se refermant dans un fracas d’engrenage huilés. Sans résister, le mécanisme de barrage s’activa d’un simple levier, même après tant de temps abandonné. Un témoignage supplémentaire, s’il en était besoin, du génie du peuple des roches.
En inspectant les lieux, les quatre compagnons avisèrent d’un espace sain, à la température raisonnable. L’endroit se divisait en plusieurs zones, et semblait prévu pour accueillir un nombre très conséquent de nain. Trop conséquent pour une simple garnison, même. Yardan suspecta que ce donjon servait de refuge pour la populace en cas de trouble. Des cellules simples mais bien conçues s’agençaient devant des murs épais percés de meurtrières, qui permettaient de surveiller la cité. Un bassin d’eau pur sourdait en contrebas, et des restes de caisses d’équipement traînaient par endroit. L’endroit semblait calme, une chance inouïe dans les ténèbres de l’Inframonde.
- La voie du Dieu Dragon est ardue mais juste, commenta Yardan en s’avança plus avant dans le couloir. L’endroit semble propice à nous accueillir pour nous y reposer.
Il s’arrêta, sentant ses jambes flageoler de nouveau. Son harmonie interne avait été mise à mal par les monstres, prendre du repos serait une bénédiction.
- Si la Grande Roue nous a en Sa clémence, nous ne trouverons ici nul adversaire susceptible de nous causer tracas. Pour autant, prudence reste mère de sûreté, et cette finalité reste ici ce à quoi nous tendons. Jasna, Ludmilla, qu’en songez-vous ? Devons-nous pousser plus avant notre exploration de l’endroit pour assurer que rien ne nous souciera, ou optons-nous pour un repos réparateur en ces lieux ?
Yardan désigna du bras les alentours immédiats, et plus particulièrement les couchettes nichées dans les parois.
- A mon sens, un rapide coup d’œil dans cet étage reste pertinent pour évaluer menaces immédiates et sbires du Serpent. Une fois ceci fait, accueillir le repos nous sera salvateur, et nous fouillerons plus avant demain. Avalons part du restant de nos provisions, buvons eau et dormons, cela me semble le plus sage. Adjoignions-y par réserve un roulement de garde, car au cœur du Monde Souterrain, dans un endroit gangrené par les miasmes du Serpent, l’endroit n’est pas sûr.