Peu à peu, son être sembla se rapprocher. Il se ré-ancra. Une lumière. Un souffle. Des bruits. Oui… ses yeux, sa peau, ses oreilles… Il percevait de nouveau. Il resta un instant serein encore, loin de l’urgence du présent, loin de l’Agir et du Choix, à l’abri des miasmes du Serpent et de son corps meurtri. Puis vint la fusion, et son âme et son corps entrèrent de nouveau en phase.
L’exercice du Repos de l’Ame était l’un des Six Mouvements qui régissaient l’Envol, et ceux qui marchaient dans la Voie du Dragon s’y consacraient au mieux. Jours après jours, Yardan avait poli leur pratique, car c’était ainsi qu’il était écrit. La Grande Roue tournait, et ses rayons ancraient les choses telles qu’elles se devaient d’être. Le Dieu Dragon, dans sa Quête de Vérité, avait à cœur d’instruire ceux qui servaient Sa cause, et la méditation était l’un des piliers du requérant.
Assis en tailleur sur le sol de pierre froide, il avisa Jasna, restée à ses côté. Plus loin, Ludmilla s’en revenait avec Terdéric, après leur exploration sommaire de cet étage du bastion nain. Yardan sourit. De toute évidence, sa transe avait été de courte durée. Pourtant, elle lui avait procuré un soulagement prononcé, presque palpable. Il inspira longuement, puis expira tout en contrôlant son souffle, calme et lucide.
- Yardan, tu peux tenter de faire un feu, s'il te plait ? Si nous nous nettoyons ici, il ne faudrait pas qu'on attrape la mort en sortant de l'eau. Ce serait franchement idiot, non ?
A ces mots, l’adepte du Souffle leva les yeux vers Ludmilla, qui s’était rapprochée du bassin. Il la regarda, et senti soudain sa respiration se bloquer. Et pour cause. A gestes mesurés, la jeune femme commençait en effet à se déshabiller. Ses vêtements piteux tombaient les uns après les autres, exposant de plein allant son corps svelte à la lueur chiche du solium.
D’une immobilité de statue, le moine détailla la guerrière ébouriffer d’un geste sa chevelure de feu, avant plonger sans hésiter dans l’eau fraîche. Yardan se souvint alors de respirer, ses poumons se rappelant vivement à son bon souvenir. Un instant plus tard, un second bruit d’eau l’informa que Jasna avait sûrement fait de même que sa sœur aînée. Il resta encore un temps à regarder l’air immobile, la vision encore dans les yeux.
Draaz l'assiste, c'était là chose surprenante. Ce n’était évidemment pas la première fois qu’il voyait un corps féminin ainsi exposé, bien entendu. Dans les Dents de la Guivre, hommes et femmes avaient places égales au Commencement, et cela prévalait aussi quant aux cycles de formation des novices. Et pourtant… et pourtant, il y avait là quelque chose de.... nouveau... dans cette scène, dans cette vision fugace qui venait de s’effacer devant ses yeux. Quelque chose de… particulier. Yardan ne sut mettre le mot juste sur le phénomène qui l'avait saisi. Une chose était cependant sûre : sa belle sérénité venait de voler en éclat.
Il se rappela alors de l’ordre reçu avant la plongée dans le bassin. Le feu. Oui, il devait faire un feu. Yardan força son corps meurtri à bouger, et se redressa sur ses pieds. Il fit le tour de la salle, mettant Terdéric à parti. Ils récoltèrent les fragments épars des caisses défoncées et des autres matières susceptibles de brûler. Par prévoyance, Yardan mit de côté les morceaux les plus longs, susceptibles de fabriquer plus tard des torches de fortune. Avisant quelques pierres mal dégrossies dans un coin, l’adepte organisa un foyer sommaire.
Il retira alors le haut de sa tunique, et en arracha consciencieusement les manches. L’une servit à faire quelques bandes de fortune. L’autre finit sur le foyer, où il entassa alors le reste des inflammables. Il employa alors les flammes de sa lanterne vacillante pour embraser l’ensemble. Il souffla doucement, attisa les braises naissantes. Quelques instants après, le feu était lancé. Il revêtit son marcel improvisé, laissant à la vue de tous les tatouages entrelacés qui courraient sur ses bras.
- Voici feu lancé, exposa-t-il aux jeunes femmes qui continuaient de se prélasser dans le bassin. J’ignore combien de temps cela sera, mais c’est là chose belle pour nos corps éprouvés par l’Epreuve. Puisse la Grande Roue nous soutenir demain dans nos recherches, car d’ici peu défaut sera de nos lampes, et alternative sera alors à quêter.
Le moine se tourna alors vers Terdéric, qui semblait captivé par le bassin d’eau clair, ou plutôt par ses occupantes.
- Sieur Terdéric, l’idée d’un bain nous serait de même salvatrice une fois le tour de ces dames passé, car les miasmes des sbires empoissent tout autant notre peau. Qu’en songez-vous ? Par ailleurs, avez-vous connaissance des us des nains quant à leur satiété ? Une fois reposé, il nous faudra demain trouver pitance dans ces ruines avilies par le Serpent.