[Arolavie] Chapitre 6 - Les cendres de Fort Ditelni - [JOUR 9, minuit à JOUR 11 midi] Une aventure de la garde lunaire de Fort Ditelni à la frontière nord-ouest de l'Arolavie.

[Iris]

Après une nuit au calme, les deux gardes lunaires repartirent de bon train.

Les aventuriers découvrirent un paysage de champs et friches inondés par les débordements de la Penyerka, qui venait du nord, avant de bifurquer vers l'est. Dilergorod le dernier point (ou le premier selon le sens) navigable, du moins hors des périodes de crues. Celles-ci étaient habbituelles, de sorte que la vie suivait son cours. Les hameaux et les routes en particuliers étaient édifiés en hauteur par rapport au niveau de l'eau.



A mesure qu'ils approchaient de Dilergorod, il y avait de plus en plus de monde et d'habitation. La ville apparaissait à l'horizon, et peu à peu, en dépit des charrettes et des incidents, ils la voyaient de plus en plus nettement. Elle était bâtie en grande partie en bois, certainement issu des forêts de Lyasnija, mais avait d'épais murs de pierre. Elle n'était guère séduisante pour les nouveaux-venus pressés de porter leur message.

Après quelques questions, ils furent dirigés vers le quartier de la garde lunaire, composé de casernes, place d'entraînement, bâtiments des officiers. Le tout leur fit l'impression d'être assez sobre, mais aussi presque une ville dans la ville. On les reçut, et la nouvelle qu'ils portaient fut rapidement relayées.

Une capitaine Ninkasa les accueillit. Elle avait un physique sec et nerveux qui donnait l'impression qu'elle ne mangeait ni ne dormait suffisamment. Elle était énergique et manifestement impatiente.

" Il est question d'un dragon lié à un brigand surnommé le Banni."

Le ton était affirmatif, mais paraissait bizarrement être une question. Mais la suite des événements s'annonçait déjà, des ordres, une réunion, et au final, on posa quelques questions aux messagers, mais surtout pour jauger de la taille -- et donc de l'âge du dragon. Pour le reste, les aventuriers gouttèrent aux plaisirs ineffables d'attendre sur des chaises dans un couloir, non loin de la salle de réunion, pour le cas où quelqu'un aurait envie de leur poser des questions.

[Casaïr]

Le voyage s'était passé sans aucune complication de plus, pas de vieille dame ayant un problème de lapin ou de panier coincé sous un arbre ou quoi que ce soit d'autre. Revoir Dilergorod me faisait étrange. Je l'avais traversé à l'aller sans vraiment m'y arrêter avant de me rendre à Fort Ditelni, et voilà que j'y retournais pour transmettre un rapport des plus problématiques.

Rapport qui fut recueilli avant qu'on ne nous laisse attendre dans un couloir. Même si je ne m'étais pas attendu à grand-chose, ce traitement me surprit. Devoir patienter jusqu'à attendre d'être appelée pour répéter encore et encore ce qui avait déjà été dit.

"J'espère qu'on ne va pas attendre trop longtemps. Une affaire pareille ne peut pas être prise à la légère."

Je hochais la tête comme pour me convaincre mais je n'étais sûre de rien. Je m'étirais en cherchant une position plus confortable sur ma chaise, l'attente commençait seulement.

[Pwyll]

Gaspardin était agréablement surpris par le déroulement des événements. La Garde lunaire semblait bien organisé. On ne pouvait en espérer moins au vu de sa réputation, mais le constater était appréciable.

A la question de Milla, il répondit avec sérénité :

J'pense que c'est justement parce qu'ils prennent ça au sérieux qu'il y a ces réunions et tout. Ils réfléchissent avant d'agir, c'est normal. On se sent moins seul je trouve, c'est bien parfois quand d'autres gens prennent les choses en main et nous disent quoi faire, ça repose.

Un souvenir lui vint et il le partagea avec elle :

Au fait, hier quand j'ai changé Bourdon d'écurie, un type louche s'intéressait à lui. Faudrait faire gaffe, il pourrait atti... attirer ou artiser, les covoitises, enfin tu vois le truc, quoi faire envie aux coquins !

[Iris]

Ludmilla et Gaspardin apprirent bientôt qu'un capitaine allait prendre la tête d'un détachement qui allait occuper à nouveau le fort, et qui serait à même de contribuer à l'élimination des brigands et rétablir l'ordre.

Verna était un capitaine étonnement jeune. Il paraissait ne pas avoir 20 ans. En discutant ou en laissant traîner leurs oreilles, les aventuriers apprirent qu'il était réputé impatient, il valait mieux ne pas traînasser et prendre des initiatives. Il était en tous cas facilement souriant.

Les troupes auraient pu partir demain matin, mais Verna décida de ne pas attendre. En maintenant une bonne allure, les soldats arriveraient à la bourgade où les aventuriers avaient tantôt passé la nuit. Par contre, ils arriveraient certainement à la nuit tombée.

[Casaïr]

Les sentiments qui se bousculaient dans ma tête à l'idée de retourner à fort Ditelni étaient aussi nombreux que divergents ; d'un côté j'étais soulagée et heureuse de rentrer, de l'autre l'angoisse et la peur me disaient que c'était trop dangereux. Je n'eus cependant pas vraiment le temps de faire le point sur ce sujet puisque le capitaine donna l'ordre de repartir immédiatement. Le fait de partir avec des troupes fraîches était malgré tout rassurant mais me retrouver avec tant d'inconnus avait tendance à me fermer comme une huître.

Heureusement que Gaspardin est avec moi, me disais-je. Même la présence de Bourdon avait quelque chose de tranquillisant.

Pendant le temps de préparation, j'avais regardé le capitaine Verna sous toutes les coutures, surprise par son jeune âge apparent.

"Il a l'air plus jeune que moi", avais-je soufflé à un moment au demi-paladin, a la fois étonnée et intriguée.

Soit il existait des écoles pour apprendre à commander, soit il s'était distingué lors d'une bataille quelconque, soit il avait des parents influents. Difficile de savoir ce qui était vrai. Même si j'avais entendu dire qu'il n'était pas d'un naturel patient, le voir sourire presque tout le temps me rassurait. Je m'attachais alors à donner une bonne impression de moi, tentant d'éviter les erreurs que le sergent Grognon n'avait pas manqué de pointer chaque fois qu'il me parlait.

Bon sang, il a le chic pour que je me sente nulle...

Nous repartîmes aussi vite que nous étions arrivés, perdus au milieu de la troupe censée renforcer les défenses du fort. le chemin de retour passa vite et c'est au soir que nous arrivâmes en vue du village que nous avions quitté au matin. Mais cette fois, hors de question de m'éclipser pour regarder des combats de lutteur.

[Iris]

Ces trajets sans vraiment de repos commençaient à peser sur l'endurance de Ludmilla et Gaspardin. Ils attendaient leur lit tandis qu'ils avançaient dans la nuit. Le village était plus tranquille.

Le capitaine Verna mit pied à terre et entra dans les deux auberges flanqué de son ordonnance. Il ne tarda pas à en sortir pour signifier que plusieurs chambres étaient réquisitionnées.

Au gré du hasard des affectations, Ludmilla et Gaspardin se retrouvèrent dans l'auberge populaire. Une bonne demi-heure à s'occuper du cheval -- desseler, essuyer, brosser, vérifier qu'il allait bien --, la soupe était servie. Pratiquement le même menu que la veille, les tripes seulement remplacées par plus d'oignons et des lardons. Correct, compte tenu de la recette qui ne pouvait pas faire d'étincelles.

Le duo se retrouva avec deux autres compagnes -- Erika et Vera -- pour partager un seul grand lit prévu pour trois. La première était très âgée ; la seconde plus proche de la vingtaine. Il apparut qu'il s'agissait d'une mère et de sa fille.

Le lendemain promettait d'être un jour assez ensoleillé, sans vent, tout au plus de vagues nuages. Sans surprise, c'était lever à l'aube, et repas avalé sans prendre son temps. A ce rythme, les renforts arriveraient avant midi à Fort Ditelni.

[Casaïr]

Les kilomètres jusqu'à l'auberge furent avalés avec célérité mais la fatigue accumulée se faisait sentir, au point que je piquais presque du nez dans mon bol. Manger la même chose que la veille au soir n'aidait guère à maintenir mes sens en éveil et c'est avec une joie difficilement contenue que j'accueillis la répartition des chambres. Et le fait d'être à quatre -enfin, trois et demi vu la taille de Gaspardin) dans un lit pour trois n'amoindrit qu'à peine le sentiment de reconnaissance qui m'envahissait.

Je discutais un peu avec les deux femmes qui nous tenaient compagnie, et découvrir qu'elles étaient mère et file me fit une drôle d'impression. Si elles étaient là toutes les deux, le vœu formulé lors de leur engagement devait être particulièrement important.

Au moins autant que le nôtre, songeais-je en voyant l'image de ma sœur se dessiner dans mon esprit. D'un seul coup elle me manqua terriblement alors que je me rendais compte qu'à cause de la succession rapide d'événement je n'avais pratiquement pas pensé à elle. Le remord me rongea jusqu'à ce que le sommeil m'emporte dans une succession de rêves étranges et culpabilisants, et dont je ne conservais que quelques bribes à mon réveil.

Au petit matin j'étais prête à défaut d'être de bonne humeur, j'avalais mon petit déjeuner (trop) rapidement et remontais sur mon cheval, parée autant que possible pour un nouveau rodéo jusqu'au fort.

[Pwyll]

Dormir blotti contre trois femmes, dont deux jeunes femmes et au moins une particulièrement accorte, même quand on est fatigué, c'est... troublant.

On a beau être Halfelin, on n'en est pas moins homme. Bon, enfin tu vois c'que j'veux dire

Poursuivit Gaspardin dans son débat intérieur parfaitement ridicule mais incontrôlable. Les histoires entre Humains et Halfelins, c'était de notoriété publique ou, disons, de notoriété pudique.

Tout ce qui est grand est charmant, tout ce qui est petit est joli, etc. Gaspardin n'avait jamais spécialement donné dans ce genre de fantasme, mais... c'était troublant.

La proximité, la chaleur, l'odeur, oui, l'odeur, il fallait bien le reconnaître, les humaines et les halfelines partageaient de ces odeurs bien agréables qui, finalement, dans le noir...

Reprends toi ! Un peu de tenue ! C'est l'armée, la guerre, la tragédie, la lutte !

Bah. Le sommeil va venir. Forcément.

Le Paladin se mordillait la lèvre, quand, enfin, la délivrance de l'oubli vient le sauver des affres de la chair, si faible.

[Iris]

Spoiler

Last movement from "Lamentate" by Arvo Pärt. Live from 2017.

https://www.youtube.com/watch?v=rmDeonAzleM

Les gardes lunaires atteignirent comme prévu Fort Ditelni en fin de matinée.

Depuis leur départ, les habitants avaient travaillé à déblayer et réparer. Cela se présentait assez bien. Avec les renforts, les traces des dégâts ne tarderaient pas à disparaître.

Les capitaines Verna et Galaktion se rendirent dans le quartier des officiers pour faire le point, tandis que les soldats prenaient connaissance des baraquements de la caserne et s'installaient. Des charriots avec vivres et scorpion -- pour frapper le dragon s'il réapparaissait -- arriveraient prochainement.

Ludmilla et Gaspardin étaient un peu entre deux groupes, en manque d'encadrement et de plan. Ils attendaient l'issue de la réunion entre les officiers. Ils sortent. Les expressions sont fermées. Rapidement il apparaît que le capitaine Galaktion est démis de ses fonctions et sommé de se rendre à Dilergorod pour rendre compte de sa gestion. C'est désormais le capitaine Verna qui dirige.

Après avoir donné divers instructions relatives aux tours de gardes et aux mesures à prendre en cas d'attaque aérienne, le capitaine Verna convoque Ludmilla et Gaspardin. La réunion se tient dans le bureau de Voukoll, le temps que Galaktion fasse ses paquets.

" Vous aviez établi un plan avec le sergent Voukoll en vue de faire évader les villageois capturés. Il devait se dérouler hier ou avant-hier. Il n'y a aucune trace de son groupe. Soit il a échoué, soit il y a eu du retard. Dans tous les cas, nous ne pouvons demeurer ainsi sans savoir ce qui se passe."

[Pwyll]

Un oeil vers Milla suffit pour y lire la détermination aussi nettement que sur un livre ouvert.

"Nous voulions y retourner justement Capitaine ! Je n'ai pas encore officiellement rejoint la Garde, mais c'est mon intention. Le mieux serait d'y retourner seuls, nous connaissons le terrain, les soldats et les enjeux. Nous pourrions juste rapporter quelques provisions légères et les instructions que vous auriez pour le Sergent Voukoll ! Je pense, je suis sûr qu'ils sont en vie même."